Routes du vertige (7). Verdon. La Route des Crêtes

Filet Video_685_b_OKBon, étant donné que les Gorges du Verdon sont aux balades moto ce que la Tour Eiffel est à la visite de Paris, je ne vais pas faire ici comme si je partageais une découverte. Mais quitte à « faire » les fameuses Gorges, autant ne pas se priver d’un bon moment piqué à la vie, avec la boucle de 23 km qui part de l’Auberge des Crêtes, peu après la sortie de La Palud-sur-Verdon (direction Castellane), et revient à La Palud, à proximité de l’hôtel Le Provence. Deux adresses où les motards sont agréablement reçus. Et comment ne le seraient-ils pas ? En saison ils sont les plus nombreux à parcourir ces routes, plus nombreux même que les campings-cars, qui pourtant s’agglutinent ici en rangs serrés.

Google_Loc2014_gris5A ceux qui se lèvent tôt
La bonne idée est de partir de La Palud tôt le matin – le plus tôt possible. Tôt le matin on a toutes chances d’apercevoir sur la Route des Crêtes le ballet des hôtes les plus nobles de ces lieux : plus de dix couples d’aigles royaux y ont été localisés. Les voir se laisser porter par le vent, dans ces paysages magnifiques où ils sont chez eux, est un spectacle qui ne peut laisser indifférents que les aveugles. (On trouve aussi dans le Verdon d’autres rapaces notoires, pas spécialement maladroits en vol mais moins royaux, comme les vautours, réintroduits ici en 1999.)

GOPRO_001

Je me souviens d’avoir passé du temps sur l’un des quatorze belvédères répartis sur cette route, un matin d’été. J’y étais seul, il n’y avait pas le moindre nuage, et l’un de ces couples a commencé à tracer d’admirables cercles dans le ciel au-dessus de moi. Quand il est devenu évident que j’en étais le centre, je me suis mis à penser que mon crâne brillant au soleil était en train de susciter leur attention (et peut-être leur convoitise). Aussi, après avoir vérifié autour de moi que personne ne me voyait, j’ai remis mon casque. On n’est jamais trop prudent.

La Route des Crêtes, aka D 23, est constituée de deux parties sensiblement différentes, et doit être parcourue dans le sens des aiguilles d’une montre (15 km, sur 23, sont à sens unique) (1). Dans la première partie, montante, règne la verticalité, fugitivement aperçue depuis la route dès la première épingle à cheveux (sous les espèces de la falaise de l’Escalès, haute de 300 mètres et rigoureusement verticale), et qui nous saute au visage dès qu’on gare la moto pour se rendre sur l’un des belvédères. Ils offrent une vue imprenable sur le petit ruban vert-argent que l’on aperçoit plusieurs centaines de mètres plus bas (c’est du vert de ses eaux que le Verdon tire son nom), si loin qu’on ne l’entend même pas : c’est le sifflement du vent que l’on entend. Le grand frisson est garanti si l’on ose se pencher par-delà la balustrade, mais pas trop, hein !

DSCN3506_h461Il y a dans les Gorges du Verdon – comme dans pas mal d’autres endroits où le travail de l’érosion s’est fait spectaculaire, par exemple dans les Gorges du Tarn –, un « Point Sublime », véritable et efficace attracteur à touristes.

Il se trouve ici sur la D 952, rive droite, après qu’on ait marché un peu depuis le parking (de l’autre côté de la route, l’hôtel éponyme, quoique un peu cher, n’est pas un mauvais endroit pour faire étape dans le coin). AMA c’est sur la Route des Crêtes qu’on trouvera le point (de vue) le plus sublime du Verdon, on en trouvera même plusieurs pour le même prix ! Pour autant, il n’est pas interdit d’aller aussi admirer le « Point Sublime » labellisé (ci-dessus). Bien que la vue y soit moins ouverte que sur les crêtes, il n’usurpe pas son nom.

Au pays de « l’Ange blond »
Au niveau d’un belvédère émerge parfois le casque d’un grimpeur, puis le grimpeur lui-même, bardé de cordes, de pitons, coinceurs et mousquetons : plus de 900 voies d’escalade sont répertoriées dans le Verdon.

Panneau Baou_h247D’ici beaucoup commencent par descendre en rappel avant de remonter en escalade. Comme on part de très haut, avec plusieurs centaines de mètres de vide en dessous de soi (715 m au belvédère du Baou, d’où vient la photo ci-contre), il peut arriver que le coeur et les autres facultés se bloquent, et que, tétanisé au bout de sa corde, le grimpeur doive être pris en charge, de la voix et parfois du geste, par les plus expérimentés restés au point de départ. C’était le cas pour la jeune fille de la photo, ce jour-là. Je m’en veux, maintenant, de l’avoir prise, moi qui ai le vertige dès que je monte dans un ascenseur. Mais bon, je crois que son anonymat est préservé.

Route des Crètes

Tout le monde le sait : en escalade, le niveau des difficultés surmontées ne cesse de croître. Dans les années 80, lorsque Patrick Edlinger s’est fait connaître en grimpant ici en solo (c’est à dire sans corde et sans assurance), et en préférant l’élégance du geste à la « simple » résolution des difficultés techniques, personne n’imaginait qu’on puisse un jour aller au-delà du 7b : soit quelque part entre « Extrêmement difficile » et « Abominablement difficile ». En attendant les cotations à deux chiffres, on en est maintenant à 9b : progresser sur des parois lisses avec pour points d’appui des aspérités de l’ordre du centimètre, ne résistant qu’au poids du grimpeur, et « interdisant absolument la chute ». Drôle de formulation.

Le titre du film de Jean-Paul Janssen La vie au bout des doigts (1982) disait tout cela. En célébrant la beauté de la nature, le plaisir du risque et « l’esprit » du vertige, ce film a contribué à la création d’un mythe, et a fait d’Edlinger une star mondiale (2). Jean-Paul Janssen a réalisé la même année un autre film avec Patrick Edlinger : Opéra vertical, dont le titre dit également tout le programme. Sur une musique de Jean-Sébastien Bach, la dernière partie du film, montrant une escalade en solo intégral et pieds nus dans les falaises du Verdon, plonge le spectateur dans un état proche de l’arrêt cardiaque.

Après une chute dans les Calanques à laquelle il a survécu miraculeusement en 1995, « l’Ange blond » s’était retiré à La Palud, où il tenait un gîte. S’il avait renoncé au haut niveau après son accident, il grimpait quotidiennement ou presque dans les Gorges, en amateur – au sens étymologique. Il est mort à son domicile le 16 novembre 2012, d’une chute dans l’escalier, semble-t-il. Et voilà de quoi méditer un petit moment, pas vrai ?

La vue, c’est la vie
La partie descendante de la Route des Crêtes, c’est un autre film, marqué par le début du superbe In the Waiting Line, dans la vidéo qui vient. La vue s’étend maintenant sur des dizaines de kilomètres droit devant, vers le Grand Plan de Canjuers et son camp militaire, qui a au moins cet avantage de garantir un immense espace vierge de toute urbanisation.

DSCN3502_h461On aperçoit aussi de temps à autre la route de la rive gauche, et notamment les Balcons de la Mescla, d’où a été prise la photo ci-contre (la Mescla = le mélange des eaux, celles du Verdon se mêlant à cet endroit à celles de l’Artuby). On voit aussi la falaise des Cavaliers et ses tunnels, qui font l’objet de multiples cartes postales, etc.

Si la vue ici est débarrassée de tout obstacle, la route l’est aussi de tout garde-fou. Large et à sens unique, donc, jusqu’au Chalet de la Maline, elle ne présente pas de difficulté particulière, mais mieux vaut ne pas chercher à en explorer les échappatoires : elles sont situées en général plusieurs centaines de mètres plus bas. Je sais, l’important, ça n’est pas la chute, c’est l’atterrissage. Mais ici, l’atterrissage doit mettre du temps à venir.

DSCN3496_h128Prudence partout, donc, et prudence recommandée si l’on veut observer le paysage tout en roulant.

De toutes façons, pourquoi rouler vite, sur la Route des Crêtes ? Vous serez à peine arrivés au bout que, comme moi, vous aurez envie d’y revenir. En vous reprochant de l’avoir parcourue trop rapidement, et de ne pas vous être arrêtés assez souvent.

Routes du vertige, la série
1. Vercors. Les Gorges du Nant
2. Vercors. Combe Laval
3. Vercors. Les Grands Goulets
4. Chartreuse. Le Pas du Frou
5. Vercors. Les Gorges de la Bourne
6. Vercors. Les Ecouges
7. Verdon. La Route des Crêtes
8. Oisans. Villard-Notre-Dame
9. Oisans. La Route de la Confession
10. Oisans. La Route de la Roche
11. Oisans. La Route d’Oulles

HD 720p


Notes
(1) La route est à sens unique jusqu’au Chalet de la Maline, après quoi elle redevient à double sens. De ce chalet (géré par le Club Alpin Français) part le célèbre sentier Martel. C’est sous la direction de ce spéléologue que cette portion du GR 4, qui permet de parcourir le fond des Gorges, a été aménagée en 1928 par le Touring Club de France.
(2) La vie au bout des doigts n’a pas été tourné dans le Verdon, mais dans les Calanques de Marseille, et, pour la partie la plus impressionnante (solo en falaise, avec battements de coeur amplifiés dans la bande-son !), dans les falaises de Buoux, dans le Luberon. En s’intéressant à Patrick Edlinger au moment de la sortie du film, Actuel, « le » magazine de la contre-culture des années 80, a beaucoup contribué à sa notoriété.

> Mise à jour du 1-05-15. La vidéo du film de Jean-Paul Jansen n’est malheureusement plus accessible, au motif suivant : « Le compte YouTube associé à cette vidéo a été clôturé, car nous avons reçu, à plusieurs reprises, des notifications de tiers pour atteinte aux droits d’auteur. »

Cet article, publié dans Vidéos, est tagué , , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Laisser un commentaire