Terrible intersaison

Filet Billet_685_bleu3_OKÀ un moment dans Pierrot le fou, Pierrot/Ferdinand/Belmondo, accablé par les caprices de Marianne (Anna Karina, au faîte de sa beauté et de son talent), se met à répéter en boucle et en voix off « Ah, quelles terribles cinq heures du soir ». En fait, c’est un écho godardien à un poème de Frederico Garcia Lorca (1).

Mi-octobre dans les Alpes Maritimes, pendant ces journées merveilleuses de ma saison préférée, c’était « Ah, quelle terrible intersaison » que je me répétais vers cinq heures du soir, en pensant au film (pour qu’il y ait le même nombre de pieds, bien prononcer « Ah, quelle terrible-heu intersaison »).

C’est trop génial de rouler, en dehors des périodes d’afflux touristique, sur ces routes magnifiques des Alpes du sud, et de passer, seul ou presque (2), par ces cols célèbres et sur-fréquentés en été. Mais tout se paye aujourd’hui, et il faut bien que le bénéficiaire, coupable d’avoir gagné le droit de faire valoir les siens à la retraite, le paye quelque part.

Ce quelque part s’appelle l’intersaison. Cela dit tout : la saison d’été est finie, celle d’hiver ne débutera que dans quelques semaines. Entre les deux, les professionnels du tourisme s’emploient à reconstituer leur force de travail, et aux travaux d’entretien de leur petite entreprise (à noter que cela vaut aussi pour les routes et les infrastructures routières : les alternats tombent en ce moment comme à Gravelotte).

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Vers cinq heures du soir donc, le motard retraité, heureux de son sort toute la journée, commence à déchanter, quand il s’agit de trouver un hébergement pour la nuit. Nombre d’endroits où il a ses habitudes sont maintenant fermés jusqu’au coeur de l’hiver, et l’annoncent de façon plus ou moins plaisante (mais comment annoncer plaisamment ce qui sera forcément mal reçu ?).

Ce 9 octobre, par exemple, à Vars dans les Hautes-Alpes, sur les vingt hôtels que compte la station, je n’en ai pas vu un seul d’ouvert ! Pas non plus dans les quatre villages attenants quand on descend sur Guillestre – par où viendra le salut. 

Bah, ces désagréments ne sont finalement pas bien graves. Juste un peu coûteux, quand on n’a plus le choix de l’endroit où l’on va passer la nuit, et qu’au parking de l’hôtel on gare sa p’tite moto entre une Porsche Panamera et une Audi A6 break toutes options. Et surtout, ces désagréments ne suffisent pas à faire oublier les merveilles dont on s’est imprégné, le temps d’une belle journée d’automne.

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Notes
(1) Frederico Garcia Lorca, Complainte pour Ignacio Sánchez Mejías (1934).
(2) « Seul ou presque » : fort logiquement, on rencontre parfois en ces lieux… d’autres retraités. En voiture, qui prennent leur temps sur les routes d’une région qu’ils découvrent avec leur C 3 neuve ; en camping-car (le camping-car est au retraité ce que la carapace est à la tortue, dont il égale les performances) ; à moto, même.

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Un commentaire pour Terrible intersaison

  1. Etienne dit :

    Je suis sûr que les deux automobilistes du parking on dû se dire en voyant la Royal : Si à cinquante ans, on n’a pas une Bullet, on a quand même raté sa vie !

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